Le jour des maladresses [terminé]

Bon… Où suis-je ? Je marche lentement, les yeux cherchant furtivement un moyen de connaitre ma position. Mais rien n’y fait : je suis perdue.

« Tu ne changeras jamais, Erena. »

Je tourne la tête vers la vitrine d’un des commerces qui m’entoure, et me retrouve face à mon reflet, arborant une moue ennuyée.
Je détourne le regard, et continue d’avancer aveuglément. Dans ma main gauche, le petit papier devient de plus en plus froissé, tant je joue avec pour déstresser.
Ah… Et dire que tout a démarré à cause de ce mot. Pour une fois, ce n’est pas mon… correspondant qui me l’a envoyé, mais quelqu’un d’autre. Je l’ai trouvé posé sur la commode de la chambre d’hôtel que j’occupe actuellement. Je n’ai aucune idée de comment il est arrivé là. Et ça m’effraye d’autant plus.

« Pourquoi est-ce que tout le monde t’envoie tout le temps des lettres ? Surtout que là, ce n’est même pas une lettre, juste une adresse. »

Je me pose aussi la question. Je défroisse le papier, et jette un nouveau coup d’œil à la fameuse adresse. Et un coup de vent me l’a fait lâcher.

« Ah… Ça c’est pas bon…
- J’ai pas besoin de tes commentaires, Kingyo, murmuré-je. »

J’avance d’un pas assez soutenu pour tenter de le rattraper, le suivant des yeux. Le suivant tellement des yeux que je ne regardais pas du tout devant moi. Et lorsque je m’apprêtais à me baisser pour ramasser le petit bout de papier, j’ai seulement eu le temps d’entendre un…

« Attention ! »

… de Kingyo, avant de me cogner la tête contre quelque chose… ou quelqu’un ?

C'était le jour des courses ! Yuki était sortie du petit appartement qu'elle occupait très tôt ce maton dans le but d'aller remplir ses placards à provisions ainsi que d'acheter d'autres choses utiles, car aujourd'hui, comme chaque semaine, c'était le moment où elle partait faire ses courses.

Et donc ça y est, elle était dans la rue, dans une tenue qui faisait simple et la confondait parfaitement avec tout le reste des habitants qui passaient dans les rues, eux aussi. Ses rubans violets placés dans ses cheveux dissimulaient avec soins ses cornes, car avec autant de monde ici elle ne voulait absolument pas les montrer ni quoi que ce soit d'autre. Il fallait qu'elle passe pour une humaine parfaitement normale.

Elle entra dans une boutique, pour acheter quelques provisions à remettre dans son frigo, puis lorsqu'elle voulut attraper une boite de conserve, elle la fit malencontreusement tomber sur le sol en un bruit assourdissant, suivi d'un grand silence. Comme si tout le monde la regardait, ce qui était presque le cas.

- Désolée, désolée... fit-elle en ramassant la boite pour la fourrer dans son sac de courses.

Ce n'était vraiment pas de chance, à chaque fois, à cause de sa maladresse, un accident arrivait. Heureusement qu'ils n'étaient pas trop graves, ces accidents.

Après s'être excusée une énième fois auprès de la caissière et payer ses courses, elle ressortit du magasin, reprenant une expression joyeuse. Elle fixa le ciel tout en marchant sur le trottoir, quand soudain... BLAM ! Collision. Mais dans quoi ? Ou qui ? En tout cas, ça faisait sacrément mal. Et puis, pourquoi c'était toujours dans sa tête que les chocs arrivaient ?

Yuki massa son front endolori avant de remarquer que quelqu'un se trouvait devant elle, une fille un peu plus âgée sûrement, et qui semblait s'être bien fait mal, elle aussi. Yuki s'affola alors avant de s'excuser de sa petite voix:

- Désolée, désolée, tu vas bien ? Je ne t'ai pas fait trop mal ?

« Désolée, désolée, tu vas bien ? Je ne t’ai pas fait trop mal ? »

Je relève la tête vers la personne dans qui ma tête à foncée, et je découvre une jeune fille aux cheveux roses, un peu paniquée. Je me frotte le front, plus par réflexe qu’à cause d’une réelle douleur.

« Je me demande combien de neurones tu viens de perdre avec ce choc. »

J’ignore la remarque de mon reflet, et je réponds à la demoiselle, avec une voix toute aussi gênée.

« Ça va, ça va, ne t’inquiète pas ! »

Je souris, timidement.

« Je suis désolée, je regardais pas vraiment devant moi… »

Je me gratte la tête. Tiens… ? Pourquoi je ne regardais pas devant moi, déjà ?

« Espèce de débile de poisson rouge ! »

Ah, Sasori vient de se réveiller.

« Le papier ! Le choc a encore plus endommagé ta mémoire ?! Le papier ! »

Le papier ! Comment j’ai pu oublier ce… détail. Je regarde autour de moi, par terre, voir s’il ne s’était pas coincé quelque part, s’il a continué son chemin. Je ne le vois nulle part.
Je jure intérieurement, puis me rends à nouveau compte que je ne suis pas seule.

« Ah… euh… Je suis désolée, si je suis un peu… agitée. Tu vas bien ? Ton front est un peu rouge… »

Je commence à culpabiliser. J’espère qu’elle ne va pas avoir de bosse, à cause de mon inattention.

« On se fout, de la gamine !, grogne Sasori. Le papier ! Pour une fois qu’il arrive quelque chose d’intéressant dans cette ville de fous. »

Je ne vais pas partir comme ça, comme si rien ne s’était passé ! Alors je me dandine, d’un pied à l’autre, ne sachant quoi faire.

Yuki commençait à se demander si elle n'était pas destinée à entamer ses conversations avec les gens en leur rentrant dedans. C'était déjà la deuxième fois ce mois-ci que ça arrivait, sans pour autant avoir de conséquences dramatiques. Et heureusement, d'ailleurs. Sinon, qu'est-ce qui ce serait passé si ça avait été le cas ?

- Ça va, ça va, ne t’inquiète pas ! Je suis désolée, je regardais pas vraiment devant moi…

Yuki sortit brutalement de ses pensées en secouant la tête. Bon, si elle n'avait rien, c'était déjà ça. Elles avaient donc été deux à se foncer dedans, ce qui d'un côté aurait pu faire rire la jeune fille scolarisée au lycée Satô, mais actuellement ce n'était pas vraiment ce qui la préoccupait, à vrai dire. Elle afficha un sourire aussi maladroit que d'habitude à l'autre fille, quand celle-ci demanda:

- Ah… euh… Je suis désolée, si je suis un peu… agitée. Tu vas bien ? Ton front est un peu rouge…

Oui, en effet, elle avait mal, mais ce n'était pas bien grave non plus. Ce fut ce qu'elle répondit d'une voix mal assurée:

- Non non, ne t'inquiète pas, ce n'est rien !

Elle se retint d'ajouter: "J'ai l'habitude, à force". Puis, Yuki remarqua que l'autre gesticulait bizarrement, et semblait chercher quelque chose. Mais quoi ? Elle serra son poing, puis sentit un papier prendre contact avec sa paume. Qu'est-ce qu'elle avait encore pu attraper comme truc sans le vouloir. Elle ouvrit sa main pour voir ce qui y était, puis voyant un nom inscrit dessus, elle demanda:

- C'est le tien ?

Cela faisait autant référence au nom qu'au morceau de feuille froissé.

Elle m’affirme qu’elle va bien, mais je vois bien que son front ne doit pas être aussi indolore que le mien. Alors que je continuais à culpabiliser, à chercher une solution, sa voix me sort de mes pensées.

« C’est le tien ? »

Elle me tend… Le papier ! Je le prends, d’une main un peu tremblante.

« Oui, oui… C’est bien le mien. »

Je soupire de soulagement. En même temps, si je n’avais pas retrouvé cette adresse, j’aurais pu rentrer chez moi, comme si de rien n’était.

« Non !, hurle Sasori. Moi, ça m’aurait travaillé éternellement. »

Et elle m’aurait cassé les oreilles avec ça éternellement. Au final, heureusement que la jeune fille me l’a rattrapé.

« Merci beaucoup, tu me sauves d’une vie de plaintes et de reproches. Euh… Je m’appelle Erena Schtumm, enchantée. Encore désolée pour ton… ton front… »

Je me gratte la tête. Puis une nouvelle question me vient à l’esprit. Comme un éclair de génie.

« Hum… Excuse-moi, mais est-ce que tu saurais où l’on se trouve ?
- Tout ça parce que tu t’es perdue…, râle Kingyo.
- Enfin… Si ça ne te dérange pas. Je… ne sais plus exactement par où aller. »

Je rougis de plus belle. Ma question me semblait plus intelligente quand elle ne faisait que tourner dans ma tête. La phrase dite à voix haute, j’ai juste l’air d’une paumée dans des rues bondées.

La réponse à la question de Yuki ne se fit pas attendre:

- Oui, oui… C’est bien le mien.

Yuki afficha un petit sourire amical en lui rendant, elle était contente d'avoir pu en quelque sorte se "racheter", si elle pouvait dire cela comme ça, car elle n'aurait pas aimé que cette rencontre se termine sans qu'elle ait pu en retour rendre un service à la personne qu'elle avait tamponnée. La jeune lycéenne ne dit rien, et l'autre fille enchaina donc:

- Merci beaucoup, tu me sauves d’une vie de plaintes et de reproches. Euh… Je m’appelle Erena Schtumm, enchantée. Encore désolée pour ton… ton front…

Yuki laissa échapper un petit rire. Elle avait un peu mal, certes, et peut-être qu'une petite bosse resterait, mais ce n'était vraiment pas grave, pas grave du tout. Elle s'apprêtait à se présenter lorsque Erena, car c'était le nom de cette fille, ajouta:

- Hum… Excuse-moi, mais est-ce que tu saurais où l’on se trouve ? Enfin… Si ça ne te dérange pas. Je… ne sais plus exactement par où aller.

Yuki agrandit son sourire déjà présent avant de reprendre une figure sans énorme sourire mais qui restait très amicale. Elle répondit ensuite, pointant le coin de rue où se trouvait d'ailleurs le nom de cette... rue:

- Je suis Yuki Hariken. Et si tu veux savoir où l'on se trouve, je pense que je peux un peu t'aider, bien que je sois fraichement arrivée ici j'ai déjà pu prendre quelques repères.

Elle marqua une pause, puis ajouta après une seconde de réflexion:

- On se trouve dans une des rues du quartier commercial, celle qui est la plus à l'est, très exactement. Je ne sais pas si ça va grandement t'aider...

Yuki donc, mon interlocutrice, m’indique la zone de la ville dans laquelle je me trouve. Ah, j’ai eu bien de la chance de tomber sur une gentille personne comme elle ! Mais je ne veux pas non plus l’ennuyer avec mes problèmes d’orientation.

« Oui, mais ça ne t’avance pas à grand-chose tout ça. Tout ce que tu vas réussir à faire, c’est te perdre une nouvelle fois en avancement au hasard. »

Kingyo n’a pas entièrement tord. Je soupire.
Surtout que, j’ai beau avoir l’adresse en ma possession, je n’ai aucune idée de la zone où elle se trouve. Et les explications du gérant de l’hôtel ne m’avaient pas tant aidé que ça. Je soupire une nouvelle fois.

« Bon, on ne va pas y passer la journée, gamine !, se presse Sasori. Bouge, marche, vole même, mais fais quelque chose ! On est en train de prendre racine. »

Je veux bien, mais comme l’a si bien souligné Kingyo, marcher sans but ne nous avancera pas davantage.
Je continue à me gratter la tête, et reprends ma conversation avec la jeune fille, toujours avec un sourire gêné.

« Hé bien, Yuki, je te remercie pour tes indications. Enfin… Très franchement, je ne sais pas si ça m’aidera vraiment à vrai dire… »

Je défroisse un peu le papier, et le tend à mon interlocutrice.

« Quelqu’un m’a dit que le bâtiment en question se trouve dans le quartier commerçant, et qu’il est assez reconnaissable dans son genre. Est-ce que tu aurais de quel endroit il s’agit ? »

Et je rajoute, rapidement.

« Mais si tu ne sais pas, c’est pas grave, hein ! Tu m’as déjà bien aidé. »

Je continue de sourire, attendant anxieusement sa réponse.

Moui. Même Yuki trouvait les indications qu'elle avait données un peu trop vagues pour qu'elles soient réellement utiles, enfin du moins, on pouvait faire mieux en matière de guide d'orientation. Et puis, le quartier commerçant était grand, donc si Erena cherchait un lieu en particulier, à moins qu'elle n'en ait une description très précise, Yuki ne savait pas si elle pourrait l'aider davantage.

- Hé bien, Yuki, je te remercie pour tes indications. Enfin… Très franchement, je ne sais pas si ça m’aidera vraiment à vrai dire…

Voilà, elle s'en doutait un peu, à vrai dire. Mais elle ne connaissait pas non plus le chemin et toute la zone de la ville par coeur, car comme elle l'avait précisé un peu plus tôt, elle était une nouvelle arrivante donc elle non plus ne savait pas encore exactement bien se repérer sur l'archipel.

Erena défroissa alors le papier lui appartenant que Yuki lui avait rendu après l'avoir hasardeusement attrapé, puis lui demanda:

- Quelqu’un m’a dit que le bâtiment en question se trouve dans le quartier commerçant, et qu’il est assez reconnaissable dans son genre. Est-ce que tu aurais de quel endroit il s’agit ? Mais si tu ne sais pas, c’est pas grave, hein ! Tu m’as déjà bien aidé.

Elle avait ajouté la dernière phrase précipitamment, mais malgré cela, Yuki voulait absolument l'aider. Elle scruta le papier avec attention pendant quelques minutes avant de marmonner:

- Mmmmm... Je crois savoir à peu près où c'est. Tu me suis ?

Et sans même attendre de réponse, elle partit devant pas trop vite non plus, tournant d'abord à gauche, puis à droite, puis elle s'arrêta pour voir si Erena la suivait bien.

« Mmmmm... Je crois savoir à peu près où c'est. Tu me suis ? »

Je te suis ! Enfin… Je vais essayer. Car Yuki vient de partir sans même m’attendre, d’un pas régulier. Même si elle ne va pas très vite, avec le moment que j’ai mis à réaliser qu’elle commençait à marcher, j’ai pris pas mal de retard.

« Vas-y, cours gamine !, me dis Sasori pour me motiver. »

Sauf que n’étant pas très sportive de nature, et que je n’ai pas une très grande foulée…

« A cause de tes courtes jambes… »

(Merci du commentaire, Sasori) … je peine à la rattraper. Et lorsqu’elle tourne à gauche d’une ruelle, je la suis et… perd sa trace.

« Sérieusement ?! »

Le cri du cœur. Je soupire, comme à mon habitude, et continue à marcher tout droit encore un moment. Mais où est-elle ?!

« Franchement, je te félicite. »

Je n’en ai pas besoin, Kingyo. La panique m’envahit une nouvelle fois. Je finis par déboucher sur une rue assez large, lumineuse, et… emplie de monde. La pire chose qui pouvait encore arriver, dans cette situation. Comment suis-je censée retrouver la jeune fille, maintenant. Je réfléchis trente secondes, et une idée me vient. Je m’accoude à un mur, à l’ombre d’un bâtiment, et murmure à l’adresse de Sasori.

« Vas voir où elle est. Reste discrète et ne te fais pas trop remarquer, s’il-te-plait. Une ombre seule qui longe les murs, ça ferait trop suspect.
- Et à qui crois-tu parler, gamine ?, me crie-t-elle alors qu’elle commence déjà s’éloigner.
- A une ombre qui ne connait pas le sens du mot discrétion, me dis-je pour moi. »

Et je reste là, accoudée à mon mur, à patienter. Dans l’ombre, personne ne devrait remarquer ce qu’il me manque : ma propre ombre.

Visiblement, Yuki avait bien fait de stopper sa marche pour voir si Erena la suivait. L'autre jeune fille n'était plus derrière elle ! Yuki avait beau jeter un coup d'oeil à droite, scruter les passants du regard, pour voir si la civile ne serait pas parmi eux, puis faire de même du côté gauche, elle ne la trouvait pas.

Ce que Yuki n'avait pas dit, par contre, c'était qu'elle avait involontairement pénétré l'esprit de Erena et avait donc découvert que celle-ci n'était pas tout à fait seule et dissimulait un don. Enfin, de don, c'était plutôt deux autres esprits, si Yuki pouvait les décrire ainsi, que Erena abritait, et ce que la jeune fille scolarisée au lycée Satô avait retenu avant de vite s'échapper du crâne de l'autre fille, c'était que l'ombre était Sasori et le reflet Kingyo.

Mais bref, ce n'était pas vraiment le moment de penser à cela. Elle devait retrouver Erena au plus vite, car elle n'aimait pas l'idée que l'autre se soit perdue. Ce fut à cet instant précis qu'elle remarqua une ombre. Une ombre seule. Il n'y avait personne qui la créait. Elle était là elle-même. Donc... Yuki en déduisit que cela devait être Sasori, de Erena. Elle ne connaissait pas d'autres ombres comme celle-ci, à vrai dire.

Elle s'approcha donc pour observer, et voir, si sa déduction était bonne, si cette ombre allait la guider en sens inverse jusqu'à Erena.

Le savoir peut tuer. Yuki le sait. Yuki sait également qui n'est pas bon de pénétrer dans l'esprit des gens ainsi, sans le leur avoir demandé, sans avoir obtenu un accord. Mais cela faisait longtemps que ça ne s'était pas produit. Jusqu'à présent, elle avait cru la phase évolutive de son pouvoir terminée, qu'elle pouvait tout contrôler si elle y faisait attention. Et son attention ne s'était pas relâchée. Alors, pourquoi ce dérapage ? Yuki ne saurait l'expliquer. Il fallait croire que son pouvoir venait une nouvelle fois de s'améliorer. A son malheur, dans un certain sens. Ce don psychique évolutif qu'elle possédait pouvait être aussi bon que mauvais.

Yuki voyait toujours l'Ombre. Elle savait ce que c'était. Elle l'avait appris sans le vouloir. Et elle savait que cela représentait un danger pour elle. Mais elle ne pouvait pas fuir. Lorsqu'une main froide et ténébreuse l'empêcha de dire quoi que ce soit, de s'expliquer, elle sut qu'elle n'avait pas le choix. Que si cette Ombre lui ferait du mal, alors elle se défendrait, sauf si on voulait bien lui laisser le temps de s'expliquer. Mais ça avait l'air très mal parti.

Yuki cessa de bouger et de se débattre lorsque l'Ombre l'attrapa. Elle savait depuis longtemps que c'était inutile de s'agiter pour rien. Mais avec sa faible constitution, elle était en un sens désavantagée, car seul son pouvoir pouvait grandement l'aider. Mais elle ne l'utiliserait pas ici. Elle n'était pas folle, bien que son don soit invisible. Attaquer en pleine rue n'était pas une solution.

Enfin, on la lâcha. Yuki avait fermé les yeux, et les rouvrit brutalement lorsqu'elle tomba sur le sol. Elle tremblait. Ce n'était rien, de tomber comme ça, pourtant. Mais pour elle, ça faisait mal. Plus mal que ce qu'on pouvait imaginer. Elle se releva quand même, bien que désormais c'était le regard méfiant d'Erena braquée sur elle qu'elle affrontait. Ce n'était rien, un regard. Le mental de Yuki était aussi fort que sa résistance physique était faible.

Elle ne souriait plus. Elle se contenta de remettre ses vêtements en place avant de grincer, elle aussi bien moins amicale que tout à l'heure:

- Tu gardes mal ton secret. Un accident comme celui-ci n'aurait pas dû se produire si tu avais une meilleure défense mentale. Mais je suppose que tu ne veux, enfin que vous ne voulez pas entendre mes explications, vu que l'on vient de tenter de se débarrasser de moi.

« Tu gardes mal ton secret. Un accident comme celui-ci n'aurait pas dû se produire si tu avais une meilleure défense mentale. Mais je suppose que tu ne veux, enfin que vous ne voulez pas entendre mes explications, vu que l'on vient de tenter de se débarrasser de moi. »

Défense mentale ? Je ne comprends pas. Je ne sais pas ce qu’il vient de se passer. J’avais juste un mauvais pressentiment en ce qui concerne mon ombre, j’avais donc demandé à Kingyo de la suivre. Elle l’avait perdue un moment, avant de la retrouver… en train de traîner la jeune fille dans une ruelle. Je demande des explications à mon ombre, d’un ton ferme.
Elle m’explique la situation.
Le fait que la demoiselle avait remarqué sa présence.
Le fait qu’elle voulait protéger notre secret.
Protéger ma sécurité.
Protéger ma vie paisible.
Le fait qu’elle voulait se débarrasser de ce qui pouvait me nuire.
Me nuire ?!

« Tu voulais… la… »

Ma voix tremble, je suis presque sûre que mon visage est devenu blanc comme un linge.

« Mais t’es complètement… Je t’avais demandé de… de ne pas… »

Je n’arrive plus à trouver mes mots.

« Enlève ton dard de Yuki.
- Mais…
- Obéis. »

Sasori m’obéit. Elle sait bien qu’il ne faut pas m’énerver. Elle retourne dans le sol, retourne à mes pieds. Je n’aurais jamais dû la faire sortir.
Je voulais faire un pas vers Yuki, mais me retiens. Elle doit être énervée aussi, à l’écoute du ton qu’elle a employé pour me parler. Je reste méfiante également, je ne sais toujours pas comment elle a fait pour connaitre l’existence de Sasori… même si cette histoire de défense mentale me met un peu la puce à l’oreille.

« Je suis désolée, ça n’aurait effectivement pas dû arriver. Sasori… elle est impulsive et violente, mais fondamentalement elle a bon fond. Si tu dois en vouloir à quelqu’un, c’est à moi. Mais je ne sais pas comment tu as fais pour découvrir son… leur existence. Car je suppose que tu dois connaître celle de Kingyo également. »

Je me gratte la tête, gênée. Ça n’aurait pas dû arriver. Je détourne le regard. Ça n’aurait jamais dû arriver.

« Je suppose que tu ne veux plus m’aider, maintenant… »

Cette dernière phrase était sortie toute seule, à demi-voix. Pourquoi est-ce que je finis toujours par faire du mal aux autres ? Finalement, la solitude est peut-être ce qu’il y aurait de mieux… Et ne pas se lier aux autres, la solution que j’ai toujours privilégiée, la seule qui permettra aux autres de ne pas souffrir à cause de moi.

Les quelques mots que venaient de dire Yuki avec son ton ferme qui ne lui correspondait pas vraiment avait fait un rapide résumé de la situation. La jeune fille aux cheveux roses était elle aussi devenue plus méfiante et dure à l'égard de celle qui lui paraissait être jusqu'alors une citoyenne ordinaire, ou presque. Il fallait croire qu'elle avait eu tord sur ce point.

Mais cependant, il lui était impossible de garder cette expression froide trop longtemps, tout simplement parce que elle ne lui convenait pas. Son visage doux et enfantin était fait pour accueillir la joie, et par l'inflexibilité. Yuki possédait une trop grande gentillesse et innocence d'esprit pour pouvoir se ternir bien longtemps. Elle espérait donc que cette situation se dériderait rapidement. Pour elle, comme pour Erena.

Yuki vit alors l'ombre retourner aux pieds de Erena, enfin, à défaut de la voir, elle la sentait, elle savait qu'elle était là.

- Je suis désolée, ça n’aurait effectivement pas dû arriver. Sasori… elle est impulsive et violente, mais fondamentalement elle a bon fond. Si tu dois en vouloir à quelqu’un, c’est à moi. Mais je ne sais pas comment tu as fais pour découvrir son… leur existence. Car je suppose que tu dois connaître celle de Kingyo également.

Oui. Yuki avait également et involontairement appris l'existence de Kingyo, comme l'appelait Erena. Mais bien que l'autre jeune fille lui dise qu'il ne fallait pas en vouloir à Sasori, c'était principalement vers elle que la colère de Yuki était dirigée. Elle n'aimait pas que l'on tente de la tuer ou ne serait-ce que porter la main sur elle. Pas du tout.

- Je suppose que tu ne veux plus m’aider, maintenant…

En effet, Yuki aurait pu refuser de l'aider, désormais, et cela aurait parut parfaitement normal. Mais elle s'était tout de même promis d'aider Erena jusqu'au bout. Et elle ne pouvait trahir cette promesse. Elle répondit donc d'un ton redevenu plus normal et amical:

- J'ai promis que je t'aiderai, et je vais le faire. Seulement, je ne veux pas de nouveau prendre le risque de finir en charpie. Je vais procéder de manière plus rapide, donc.

Yuki utilisa alors son don psychique pour sonder les alentours. Elle ne tarda d'ailleurs pas à repérer le bâtiment où elle devait aller à l'origine, avant que... Bref. Elle transmit alors la totalité de l'itinéraire à Erena, dans son esprit, comme si l'autre jeune fille l'avait en réalité déjà fait. Au moins, c'était plus simple de procéder comme ça. Yuki dit alors en replaçant l'une de ses mèches de cheveux rose derrière son oreille:

- Voilà, désormais tu devrais pouvoir te rendre au lieu que tu cherches sans avoir besoin de mon aide.

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi en est-on arrivé là ?
Je n’aurais pas dû mêler cette gentille jeune fille à cette histoire. Ça aurait évité bien des problèmes, tant à elle qu’à moi.
Je sens quelque chose d’étrange se graver dans mon esprit. Un plan ? Une destination ? Il est bien dur de définir de quoi il s’agit.

« Voilà, désormais tu devrais pouvoir te rendre au lieu que tu cherches sans avoir besoin de mon aide. »

En effet, j’ai l’impression de savoir exactement où me rendre. Je sais exactement où me rendre.

« Je… Hum… Merci. »

Je me dandine, ne sais pas quoi faire, quoi dire d’autre. Sasori… Non, j’ai fais du mal à Yuki, à cette innocente jeune fille. Mais je ne sais pas comment réparer cette erreur. Peut-elle être réparée, déjà ? Non, on ne peut plus changer ce qui a déjà eu lieu.
Alors peut-être que se séparer maintenant est encore la meilleure solution. Car si je disais encore quelque chose, je sais que je ne ferais qu’empirer la situation.

« C’est sûr que tu finis toujours par dire LE truc qu’il faut pas. »

Sasori ricane, je frappe le sol du pied violemment. Elle va se taire ?! C’est à cause d’elle qu’on en est arrivé là…
Je reprends mon calme.

« Bon hé bien… Je suppose que je vais te laisser, je t’ai déjà causé assez d’ennuis, et t’ai pris assez de ton temps. Merci encore pour ton aide. Et désolée pour… pour… »

Je ne trouve pas les mots. Pourquoi j’ai recommencé avec ça… Après un petit blanc gênant, je reprends finalement.

« Enfin… bref, passe encore une bonne journée, Yuki. »

Je souris timidement, et fais volte-face. Je ne peux plus la regarder. Je commence à marcher, connaissant à présent le chemin. Les mains dans les poches, je me dirige vers la sortie de la ruelle, regagnant la lumière et les gens. Sans regard derrière moi, je me mêle à la foule, et me dirige vers ma destination initiale.

Oui, c'était vrai, bien qu'elle soit infiniment plus gentille que les gens dans la moyenne, Yuki restait tout de même en colère par rapport à ce qu'il venait de se passer. Cette colère, bien qu'elle savait qu'elle ne durerait pas, ne lui permettait donc plus de faire quoi que ce soit envers l'autre jeune fille désormais. Elle la pardonnerait, ça, il n'y avait aucun doute la dessus. Et même très rapidement, d'ailleurs. Seulement, pour aujourd'hui, il fallait que Yuki reste seule toute la fin de cette journée, pour ne pas affecter d'autres personnes avec son humeur pas tout à fait redevenue stable. Elle fixa Erena qui lui dit:

- Je… Hum… Merci.

Yuki ne voyait pas d'autre solution que de s'arrêter là pour aujourd'hui, c'était mieux. Et puis, elles pourraient reprendre un peu mieux leur rencontre après s'être toute les deux changé les idées, non ? Ce fut visiblement ce qu'avait aussi pensé Erena, lorsqu'elle ajouta ces quelques mots:

- Bon hé bien… Je suppose que je vais te laisser, je t’ai déjà causé assez d’ennuis, et t’ai pris assez de ton temps. Merci encore pour ton aide. Et désolée pour… pour… Enfin… bref, passe encore une bonne journée, Yuki.

Erena se détourna, Yuki aussi, mais elle n'oublia pas pour autant de saluer la civile, les manières et la politesse, ça ne s'effaçait pas juste pour un malentendu comme ça. La jeune fille aux cheveux roses prit alors le chemin pour rentrer chez elle, car avec tout ça, elle avait encore oublié de ramener rapidement ses courses dans son appartement. Elle et Erena se recroiseraient, c'était certain. Et dans de meilleures conditions, c'était ce que Yuki espérait.